Bonne lecture.
On aurait tort de croire que le
rassemblement annoncé aujourd’hui dans les Landes ne serait qu’un long défilé
de vieux chasseurs. Dans cette manifestation, l’ortolan de toutes les vindictes
ne sera finalement qu’un prétexte et l’infime catalyseur de ce que les
campagnes, et pas seulement dans les Landes, contiennent de colères rentrées et
de perpétuelles humiliations. Ce que l’on entend dans cet appel de
Mont-de-Marsan vaut également pour les vallonnements de Saintonge, les bois et
les forêts de Dordogne, les fermes reculées du Pays basque et les estives du
Béarn. Il dit qu’un pays meurt. Et avec lui un paysage. Tout un paysage
façonné, inventé par les hommes. Construit à leurs mesures et à leur vie, dans
lequel grandissaient et se nourrissaient des valeurs communes qui n’étaient que
des cultures minuscules. Or ce sont ces cultures-là que l’on entend voir
disparaître car elles ne seraient plus conformes avec le temps. C’est une
vieille histoire qui dépasse largement les champs de la Chalosse, les palombières des pignadas, et qu dépasse
même les plus considérables figures des protecteurs des oiseaux. En matière d’extinction
d’espèces, ces derniers savent pertinemment qu’il y a d’autres combats à mener,
peut-être moins médiatiques. Que les moineaux de nos villes sont en train de
disparaître. Que les hirondelles n’annoncent plus nos printemps. Que les
insecticides et les changements de vie sont bien plus mortels pour les oiseaux
que les chasses héritées du temps des pauvres gens, ceux qui n’avaient
justement pas le droit de chasser ou n’avaient pas de fusil. Or, dans ces
campagnes, dans ces endroits que les villes ignorent de plus en plus, des êtres
demeurent. C’est grâce à eux qu’il existe encore des haies et des sentiers. Des
fermes que l’on n’appelle pas encore exploitations. C’est une population, elle,
en véritable déclin et menacée
l’extinction. Ce sont ces vies minuscules, ces héritiers des chasseurs
cueilleurs, ces cultures invisibles qui veulent se réunir. Qui disent sans le
savoir ce que découvrit un professeur de philosophie, devenu anthropologue, qui
débuta sa carrière à Mont-de-Marsan au lycée Victor-Duruy. Il s’appelait Claude Lévi-Strauss. Il eut véritablement l’intuition que toutes les
cultures, même celles de ceux que l’on nommait indigènes et que l’on méprisait,
avaient la même force et la même dignité que les cultures dominantes. Et qu’il
fallait, pour qu’un pays existe, qu’il n’oublie jamais le maillage étroit des
cités restreintes. Soit celles que l’on entend éradiquer aujourd’hui,
sous le grand couvert de la modernité.
YVES HARTÉ
Sud Ouest 1er octobre 2016